Votre vie a-t-elle du goût ?
Et si oui, pourquoi ?
L'anthropologue Françoise Héritier publie un petit livre délicieux. L'espace d'un été, elle dresse la liste des souvenirs, des sensations, des expériences qui font le sel de la vie.
Le palimpseste est léger, vertigineux, car infini. Jugez plutôt : "se donner du mal pour une broutille, craquer des allumettes, faire briller des cuivres (...) succomber à la tentation gourmande, grimper aux tours de Notre-Dame et rêver d'aller au Machu Picchu, recevoir par le travers l'écume des chutes du Niagara..."
Ou encore : "se tenir immobile devant un mamba noir mal réveillé, adorer le Dr House ou la jeune fille gothique aux couettes brunes de NCIS ou le personnage d'Ally McBeal, sauter à la corde entre deux copines qui la font tourner de plus en plus vite (c'est la préhistoire...), se délecter de gin-fizz avec le bord du verre givré ou de Campari-soda, manger à la file des pistaches ou des noux de cajou, faire un canard dans la tasse à café du voisin..."
Ou encore : "détester la résistance des objets et des choses inertes, mesurer la différence dans la perception du passé entre ses souvenirs et ceux de ses frère et soeur, de son mari, de sa fille (...) se refuser à parler bébé, rougir de sa prononciation de l'anglais, imaginer les gens à partir de leur voix..."
Ou encore : "avoir dîné chez Troisgros à Roanne du temps où ils étaient trois, mager du réglisse, de la bouillie de petit mil à la sauce aux feuilles fraîches de baobab, trouver une coquille à la quatrième lecture, lire des récits de tourmente de neige, s'asseoir sans rien faire les mains pendantes et les yeux dans le vague, être sensible à la beauté des grues au repos ou des friches industrielles ou des voies désaffectées..."
Ce que traque Françoise Héritier ? "L'imperceptible force qui nous meut et qui nous définit". A plus de quatre-vingt ans, l'anthropologue livre un récit intime et partagé. Ces mille insignifiances sont mobiles et émouvantes. Elles sont les siennes, et les nôtres.
Françoise Héritier, Le sel de la vie, Odile Jacob