Je revois le dernier film de Nanni Moretti, Le Caïman, sorti l'an dernier. Oeuvre forte et tout à fait sombre, film politique au sens le plus large et le plus intelligent du terme. Certains ont dit : "c'est un film sur Berlusconi". D'autres, ayant vu le nom de Nanni Moretti sur l'affiche, se sont cru obligés de rire à chaque séquence. Ils ont tous tort.
Le Caïman raconte l'histoire d'un producteur de films de série Z, Bruno Bonomo, à peu près ruiné. Une jeune réalisatrice -incarnée par la belle Jasmine Trinca (ci-contre)- le convainc de produire son premier long-métrage, une fiction très largement inspirée de Berlusconi : comment un homme d'affaires pourri et puissant s'empare peu à peu des media puis du gouvernement de l'Italie.
Le Caïman n'est pas un film sur Berlusconi, mais autour de Berlusconi, à l'époque de Berluconi. Bruno et Teresa ont toutes les peines du monde à financer leur projet. Tous, ou presque, refusent de financer un film politique. La crainte le dispute au fatalisme.
En filigrane, le film dresse un tableau sombre de l'Italie : il s'achève sur l'image d'un tribunal en flammes, le résultat du bras de fer entre le clone de Berlusconi (incarné par Moretti lui-même) et la justice italienne. Le destin du pays est en cause. Moretti fait dire à un de ses personnages, un producteur polonais : "Vous êtes un peuple à mi-chemin entre l'horreur et le folklore".
Mais Le Caïman n'est pas seulement un film politique. C'est le récit d'une déroute personnelle, affective (le couple Silvio Orlando-Margherita Buy est superbe), familiale, professionnelle, collective...et cinématographique. Peut-être le film le moins séduisant de Moretti. Et le plus réussi.