Je découvre, grâce, à AC, cette Elégance du hérisson qui a enthousiasmé lecteurs et libraires depuis quelques mois. Le deuxième roman de Muriel Barbery, sorti discrètement l'an dernier, a suscité un excellent bouche à oreille. Encore aujourd'hui, il fait un tabac.
De quoi s'agit-il ? Des récits, croisés, de deux personnages, habitantes d'un même immeuble chic du septième arrondissement de Paris. D'une part, la jeune Paloma, douze ans, enfant surdouée et taciturne jetant un regard cruel sur sa famille. De l'autre, Renée, cinquante-quatre ans, concierge de l'immeuble, passionnée de littérature, de philosophie, de cinéma, de peinture, etc . Son unique objectif est de cacher à ses employeurs dédaigneux l'ampleur de sa culture. Le roman alterne les confidences de l'une et de l'autre, au gré des événements de l'immeuble. L'arrivée d'un nouveau locataire, monsieur Ozu, constitue le tournant du récit. Autour de lui se noue l'intrigue.
L'Elégance du hérisson est un roman alerte. Je l'ai lu avec plaisir. Muriel Barbery sait être drôle. La description de la famille de Paloma est plutôt réussie. Le portrait de ces bourgeois intellectuels théoriquement de gauche est même souvent hilarant. Je recommande notamment la description de Colombe, la soeur de la narratrice, normalienne odieuse, imbue d'elle-même, et totalement convaincue de sa légitimité culturelle et sociale. Parmi les siens, Paloma s'efforce donc de garder le silence :
"Qu'est-ce que j'aurais dû faire ? Ouvrir la bouche comme Colombe pour dire : 'La programmation des Amandiers me laisse perplexe', alors qu'elle serait bien incapable de citer un vers de Racine, s'en parler d'en voir la beauté ? Ouvrir la bouche pour dire, comme maman : 'Il paraît que la biennale de l'an passé était très décevante' , alors qu'elle se tuerait pour ses plantes en laissant brûler tout Vermeer ? Ouvrir la bouche pour dire comme papa ' L'exception culturelle française est un paradoxe subtil', ce qui est au mot près ce qu'il a dt aux seize dîners précédents ? Ouvrir la bouche comme la mère de Tibère pour dire : 'Aujourd'hui, dans Paris, vous ne trouvez presque plus de bons fromagers', sans contradiction cette fois, avec sa nature profonde de commerçante auvergnate ?"
Les monologues de Renée, la lettrée, sont drôles aussi, parfois, et tout aussi cruels, lorsque la concierge décrit la morgue et la bêtise des occupants de l'immeuble. Ils sont intéressants, quelquefois, lorsqu'elle décrit ses enthousiasmes littéraires ou cinématographiques.
Pourtant, Ce Hérisson me laisse perplexe.
D'abord, Muriel Barbery ne parvient jamais à me faire oublier qu'elle bâtit un récit très artificiel ; pour écrire un roman polyphonique, il faut un immense talent.
Ensuite, j'ai l'impression que son livre puise dans dix ouvrages parus ces dernières années : une pincée de Nothomb (dont elle n'a pas la folie), un grain de Pennac (dont elle n'a pas l'épaisseur), une goutte de Foenkinos (dont elle n'a pas la profondeur) et beaucoup de Gavalda (dont elle n'a pas la générosité dans l'art du récit). C'est paradoxal : L'Elégance du hérisson a beau être original ; j'ai eu l'impression, en le lisant, de l'avoir déjà lu.
Enfin, le roman de Muriel Barbery est un peu lourdaud, dans l'écriture et dans la pensée. Après quelques dizaines de passages, des énoncés tels que "C'est peut-être ça, être vivant : traquer des instants qui meurent" finissent par lasser.
Résumons : roman plaisant (c'est déjà ça...), mais petit livre, à mon avis.
PS : Si vous voulez vous amuser intelligemment, la critique acerbe (et argumentée) de Philippe Lançon dans Libération vaut le coup d'oeil.